Un foyer loin de la maison

Le spécialiste militaire Richard Cutland, dit The_Challenger, nous explique la vie à bord d'un char.

On me demande souvent comment j'ai réussi à vivre dans un char pendant aussi longtemps.

Eh bien, j'ai repensé longuement au temps passé dans des véhicules au cours de mes trente années dans l'armée, que ce soient de longues manœuvres ou des opérations de déploiement à travers le globe, et j'ai été vraiment abasourdi par la durée totale. Vous trouverez ci-dessous ma réponse.

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Je vais prendre comme exemple le temps passé à bord des Chieftain et Challenger 1 & 2. J'apprécie véritablement que les véhicules soient, dans une certaine mesure, différents les uns des autres (particulièrement la taille de la tourelle), mais en règle générale, la vie quotidienne dans un char ne varie pas fondamentalement.

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L'équipage

À l'exception de l'entretien quotidien, des déplacements tactiques, des ordres reçus et transmis et des contacts avec l'ennemi, une journée normale offre seulement deux moments critiques, l'alimentation et le couchage.

L'alimentation

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Lors de déploiements pour des manœuvres en temps de paix, les rangements et l'équipement apporté sont quelque peu différents. Du point de vue des rations, nous avions tendance à prendre davantage d'aliments « comme à la maison », c'est-à-dire des conserves, du ketchup, des épices, etc. Les rations sont « acceptables » pour de courtes durées, mais lorsque vous en consommez pendant longtemps (des mois lors des opérations en Irak ; on faisait souvent du troc pour récupérer des rations américaines), elles deviennent rapidement fades et toujours identiques, et ont besoin d'être améliorées.  Les opérations sont bien évidemment très différentes. Les aliments de confort domestique sont remplacés par des munitions ; c'est dommage mais nécessaire.

Au sein de l'équipage, le chargeur devient le « cuisinier », le responsable des rations : il prépare les boissons (du café dans mon cas, car je ne suis pas un buveur de thé) sur le pouce et, dans le cas d'un contact ennemi, charge le canon et réceptionne les messages radio. Il a de nombreux talents ! C'est merveilleux de pouvoir profiter d'un bon café pour se tenir éveillé lorsque vous êtes en surveillance appuyée (position statique, en attente d'un contact) pendant douze heures !

Le formidable BV (« Boiling Vessel », une sorte de bouilloire-cuiseur : photo à droite) britannique est probablement l'équipement le plus important dans un char. Oubliez toute chance de victoire si cet élément ne fonctionne pas.

Le couchage

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Même si nous sommes dotés d'un bivouac (une grosse tente, lourde et horrible : photo à gauche), nous l'utilisions très rarement, car il faut un temps fou pour la démonter rapidement en cas de  « délogeage », c'est-à-dire de contact avec l'ennemi. En outre, en Irak, les scorpions et autres bestioles rampantes aimaient piquer tout ce qui se trouvait au sol, avec une fréquence des plus effrayantes.

On se réfugiait donc au niveau de la plate-forme arrière, où le chef de char, le tireur et le chargeur pouvaient s'installer confortablement dans leurs sacs de couchage d'ordonnance. Si la météo annonçait de la pluie et si la situation tactique le permettait, on plaçait l'armement principal sur la plateforme arrière et on élevait complètement le canon, puis on tendait le « drap de char » (une grosse bâche goudronnée) au-dessus du canon en l'attachant à la plateforme arrière.  Bien évidemment, la plateforme moteur conservait beaucoup de chaleur, une chose géniale au beau milieu de l'hiver en Allemagne, mais horrible sous le soleil dans le désert.

En général, le pilote de char restait dans son espace. Il bénéficiait bien évidemment du meilleur siège, le plus confortable, de tout l'environnement. Concernant l'équipement de couchage, cela dépendait beaucoup de la situation tactique. En cas de besoin, on pouvait dormir tout habillé, même avec nos bottes, et en compagnie d'une arme personnelle et d'un masque à gaz proches. Tout était toujours rangé, pour perdre le moins de temps possible entre le réveil et les déplacements dans le char (ce qui évite de se cogner un peu partout).

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Un Chieftain au Canada, avec le « Bivvy » (BV) apparent.

Bien sûr, en cas de contact, la tourelle devenait notre résidence. Dans les cas extrêmes, on utilisait le vide-ordures pour nos besoins (ce qui n'était pas terrible) et également pour préparer certains plats. Les longues périodes d'enfermement étaient difficiles : le chef de char et le chargeur disposaient d'un espace suffisant pour s'étirer, mais le malheureux tireur était à l'étroit et avait sans cesse les pieds du chef de char dans le dos.

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Intérieur d'un Challenger 2
Ci-dessus :
 position du chargeur ; la mitrailleuse de droite est montée de façon coaxiale avec l'armement principal.

Ci-dessous : on aperçoit le plastron du tireur ; le chef de char est assis directement derrière lui.

La tourelle est un endroit dangereux, même lorsque personne ne vous tire dessus. Tout le monde doit savoir à tout instant où se trouve chaque partie de son corps, car sinon le « monstre transversal » vous casse un membre instantanément, ou pis encore. La fatigue est le véritable ennemi. Avec l'avènement de l'imagerie thermique, les batailles se mènent 24 heures sur 24, une situation ordinaire pour une machine, mais difficile pour un être humain. 

Cela signifie qu'il fallait dormir dès que l'occasion se présentait. J'avais appris à maîtriser les micro-siestes dans le siège du chef de char entre les déplacements. Comme je l'ai dit précédemment, le pilote de char disposait de la meilleure position et il était parfois très dur de le réveiller : il fallait hurler dans l'intercom « ALLEZ, ON AVANCE » ou, dans le pire des cas, élever complètement la culasse afin que le chargeur puisse lui donner un coup sur la tête avec n'importe quel objet à disposition.

Mon chargeur était passé maître dans l'art de se recroqueviller dans n'importe quelle position inconfortable pour dormir, un véritable exploit !

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Psychologie

Vivre tout le temps en compagnie des trois mêmes individus est une chose difficile, il n'y aucune place pour les disputes ou les prises de bec. Vous vous faites confiance à un degré que je n'ai jamais retrouvé depuis mon départ de l'armée. Après tout, chacun de nous possède la vie des autres entre ses mains.

Chaque jour se ressemble, et chaque personnel connaît son rôle à fond. 99 % du temps est ordinaire et plutôt ennuyeux, mais il y a des moments d'action intense et de poussées d'adrénaline extrêmes.

Comme l'a dit le général George S. Patton, « Les guerres se font avec des armes, mais elles se gagnent avec des hommes ». C'est une déclaration sensée et profonde, mais pour un tankiste, cette arme est également votre foyer. C'est pourquoi il faut en prendre soin pour qu'elle puisse nous sauver en cas de besoin. 

Je vous quitte sur deux « Lois de Murphy du combat » :

« Les véhicules blindés sont des aimants à obus, des renardières qui attirent l'attention. »

 « Le meilleur destructeur de chars est un autre char. »

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The_Challenger

Source : http://worldoftanks.eu/fr/news/85/home-away-from-home/

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